Cet article me tient à cœur plus que tout autre.
Si je n’ai pas toujours eu d’amoureux dans ma vie, sans que cela soit un terrible manque, j’ai par contre quasiment toujours eu une amie.
La liste n’est pas très longue, les souvenirs, eux, remplissent des albums entiers.
Et si j’ai toujours eu conscience que l’Amitié est un bien dont la valeur est inestimable, elle m’est apparue d’autant plus précieuse dans l’adversité. Je pourrais vous faire de belles phrases ronflantes emplies de généralités, mais je préfère emprunter un chemin moins commun.
Vous semblez aimer les histoires, alors je vais vous en conter quelques unes.
Ce soir, l’histoire sera triste mais pleine d’émotion. Il y a longtemps, j’ai rencontré un homme gay, au travail, tout les soirs, nous passions 2 heures ensemble, au fil du temps, une complicité est née. Il m’apprit à connaître une communauté que j’ignorais. Nous ne nous disions pas tout, pourtant ce n’était ni la pudeur, ni la crainte de choquer qui nous faisait taire certains sujets, mais le manque de temps. Combien de fois suis je partie très en retard juste parce que notre discussion n’était pas finie!
Je me souviens de toutes les histoires savoureuses et totalement immorales qu’il m’a racontée sur son début de carrière, je me souviens de sa gouaille inimitable pertinente, naturelle. Je me rappelle ses coups de gueule, ses avis bien tranchés, sa façon si abrupte d’aimer ou détester l’autre. Je me souviens de petites ou grandes fêtes dans sa maison où il faisait bon vivre. Je me souviens de celle où tout s’est fini sur un terrible excès de colère. Je me souviens du sourire un peu navré qu’il avait quand nous l’imitions foutant tout le monde à la porte. J’aimais son authenticité, ce coté indomptable, peut être parce que nous ne nous sommes jamais disputés, enfin si, une fois, mais c’est une autre histoire.
Combien de fois avons nous refait le monde !
J’ai quitté ce travail et peu de temps après j’ai appris que mon ami était séropositif. J’ai approché de près le sida pour la première fois quand son compagnon est tombé malade et en est mort. Mon ami avait préféré ne pas se faire dépister, à l’époque, par crainte, je crois.
Son état s’est rapidement dégradé, il eut de plus en plus de difficulté à marcher. Il s’est progressivement enfermé non pas dans la maladie, mais dans le handicap.
Il vivait dans un hameau, retiré de tout, et plus le temps passa retiré de tous.
Il peignait depuis bien longtemps, chaque jour quand je passe devant les tableaux accrochés à mes murs, une pensée vogue vers lui.
Malgré un boulot très contraignant, malgré la distance, malgré sa souffrance, j’allais le voir de temps en temps, me reprochant à chaque fois de remettre au lendemain. A chaque visite, je le trouvais un peu plus diminué, plus fatigué, plus absent. J’étais heureuse de pouvoir de nouveau passer des heures à bavarder avec lui et en même temps ce corps décharné devenait chaque fois plus difficile à voir.
Puis, vint ma déprime, moi aussi, je me suis renfermée et j’ai pris pour prétexte ma faiblesse du moment pour me voiler la face : pas de nouvelle, bonne nouvelle, se dit on ! Je ne l’ai pas revu et ce pour de très mauvaises raisons: courage, fuyons !!
Il y a quelques mois, j’ai appelé son « amoureux », celui qui contre vents et marées est resté jusqu’à son dernier souffle près de lui. Celui qui durant des années l’a lavé, nourrit, soigné, tendrement choyé, malgré le caractère difficile, les réflexions parfois acerbes.
J’ai appris la mort de mon ami. Il laisse un grand creux dans mon cœur. Et aujourd’hui, je m’en veux terriblement de m’être faite passer avant lui.
Ce n’est pas 7 pieds sous terre qu’il a besoin de soutien, c’est trop tard. Je n’ai pas été là, quand j’aurais pu modestement l’accompagner, aider ne serait ce que de loin en loin son compagnon.
J’ai failli et je me le reproche, la lâcheté est inexcusable en Amitié et j’ai été affreusement lâche.
Alors, ici, même si cela ne répare rien, je prie ces deux hommes de me pardonner de ne pas avoir été un tout petit peu présente. J’ai d’autant moins d’excuses que je sais à quel point porter seul certains fardeaux est difficile.
Tu ne croyais pas à une suite, Daniel, je ne suis pas certaine d’y croire non plus, mais j’aimerais te savoir enfin serein, entouré de cette plénitude que tu cherchas en vain sur cette terre.
Je te remercie de ces merveilleux moments passés avec toi, ils sont gravés à jamais dans mon coeur, tous: joies, peine, coups de gueule, fou rire...
Pour toi qui avait bon goût ...
avec un p'tit sourire facétieux !