tortue s'envolant ......
Samedi 21 mai 2007
La descente doit être rapide, le bateau nous lâche un peu avant la passe dans quelques mètres d’eau. Le point de ralliement est toujours le même, un grand casier dont les bretons seraient pâles de jalousie, parfois on a la triste surprise d’y voir enfermé un beau perroquet, un ange empereur imprudent. La plongée va se dérouler dans le courant, inutile de se battre contre lui, il est le maître incontestable des lieux. Il faut s’en accommoder, se laisser porter par sa force ou au contraire s’accrocher aux coraux morts pour le remonter lentement, dans tous les cas les palmes ne bougent que dans des mouvements amples et lents. Le corps est presque immobile, les bras viennent presque naturellement se croiser sur le ventre. Les yeux, eux, s’habitue à un champ de vision réduit, la tête se tourne tranquillement à la recherche de ce que l’océan se plaira d’offrir.
En début de plongée, au pied d’une patate de corail, une forme se dessine, la tête d’une tortue, Fabio qui m’accompagne ce matin, l’aperçoit en même temps que moi. C’est une tortue verte assez grosse. Je m’approche sans doute bien trop impatiente et fébrile de ne pas en avoir croisé depuis trois ans, hop ! Là voilà qui s’envole sans hâte, calmement, je la suis jusqu’aux limites qu’offrent la visibilité. Nous continuons notre chemin, je croise avec plaisir les multiples poissons tropicaux aux divines couleurs : anges, cochets, papillons, chirurgiens, puis une pieuvre et de très jolies crevettes rien à voir avec les roses et grises (sourire).
C’est un festival enchanteur. Mon attention est soudain retenue par un tout petit poisson (2 ,3 cm) que je reconnaîtrai entre mille. Celui là est blanc et noir, sa robe est finement tachetée, il est comment dire, carré, ses fines et minuscules nageoires semblent onduler avec ardeur. Ses yeux sont tout petits mais mobiles, sa bouche est toute ronde. Il est peureux, timide, devant ce monstre que je suis pour lui (j’aimerai vous y voir devant Gulliver). Et pourtant, il est irrésistiblement curieux. Je place mon appareil photo entre lui et moi, et alors commence une partie de cache cache, peut être est ce que mon imagination me joue des tours, mais je jugerais qu’il fait exprès de filer à toute allure au moment où j’aimerais l’immortaliser, d’un air de dire : « j’suis petit, mais tu n’y arriveras pas ! Na ! » Et à ce moment précis ce petit poisson coffre et moi, nous nous sourions, un sourire d’enfant lors d’un jeu.
Les voilà qui défient le courrant avec une maestria à faire pâlir les plongeurs présomptueux,
Un petit banc de carangues à gros yeux frétille. Elles vont et viennent. Je les cadre dans le petit carré de mon appareil et les regarde jouer. Vous décrire ce que je ressens à cet instant, j’aimerai vous l’offrir par mes images, mes mots, mais ce serait donner des limites à mes sensations, or il n’y en a pas, peut être est ce une forme de plénitude, un nirvana bien réel, en tous cas plus rien n’existe que cet instant, cet endroit, ces poissons qui tapissent mes rétines jusqu’à en remplir totalement mon cerveau. C’est un ailleurs, un ailleurs bien réel que l’on touche des yeux juste un instant.
En remontant, accrochés en drapeaux, sur les coraux morts, nous croisons une autre tortue. Fabio, soudain, pointe son doigt, incroyable, elle est là, toute proche, enfin accessible au regard, une carrangue ignobilis, énorme, superbe, pour la première fois de ma vie, je la vois vraiment,, elle n’est plus un fantôme, une forme sombre au fond du canyon, mais un fier poisson nez au courrant qui va et vient devant mes yeux éberlués.
Nous remontons doucement après 42 minutes de pur bonheur.
Dans le bateau, à l’aller, nous regardons la mer, muets, au retour nous ne cessons de bavarder, ne trouvant pas assez de mots pour tout dire et taisant l’essentiel, inutile de le crier, le bonheur, ça se lit dans les yeux !
le beau Fabio .