Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
7 avril 2007 6 07 /04 /avril /2007 12:43

J’avais un peu plus de vingt ans, il faisait beau ce jour là, je suis allée au choix de poste de l’assistance publique, pas de poste de jour, hors de question de travailler la nuit, je n’étais  pas du tout adaptée, reste la garde (à l’époque 15h, 23h). Le choix de l’hôpital est important, J’ai choisi un petit établissement à taille humaine. Puis, la spécialité, j’ai toujours préféré la chirurgie, le rythme est plus rapide. Arrivée là, il restait un poste en chirurgie cardiaque, service mixte recevant enfants et adultes. Quelques jours après, je fus conviée ainsi que mes petites camarades à un charmant petit déjeuner en compagnie du directeur de l’hôpital. Ensuite, remise du vestiaire et arrivée dans le service, choix possible entre enfants et adultes, j’ai préféré les adultes. Je devais me familiariser avec le service en travaillant 2 semaines de jour. 3 jours après, j’étais de garde, seule avec 17 malades, mes belles illusions, une théorie toute fraiche, une pratique pas très étoffée. L’aide soignante étant de sortie, j’en ai profité pour apprendre aussi son boulot, y compris servir les repas. Et cerise sur le gâteau, la surveillante étant elle aussi, je ne sais où, on m’a gentiment fait comprendre que il serait bien d’assurer l’intérim.  Je savais à peine piquer et j’avais parmi les malades, un jeune  junkie à l’héro qui passait son temps à trifouiller l’aiguille afin d’avoir au moins la sensation de la piqure faute d’en avoir une autre, à piquer toutes les 2 heures, bien sur ce brave garçon ait  déjà bien pris soin de son capital veineux avant de venir. Avec le recul, tout cela me parait un peu fou, je n’étais pas formée pour être opérationnelle dans de telles conditions. Pourtant, je n’ai pas subi tout cela, je l’ai relevé comme un défi et je suis devenue en 15 jours une super piqueuse.  Je distribuais les repas cimme une pro. et les papiers administratifs n’avaient plus de secret pour moi. Je suis restée dans ce service 10 ans. J’ai eu à m’occuper d’adultes venant d’un peu partout, j’ai appris un italien sommaire afin de pouvoir communiquer avec mes malades. J’ai biberonné 7 nourrissons qui mettait ¾ h à boire 30 ml pour me les recracher sur les sabots immanquablement toutes les trois heures, croyez moi 21 biberons en 8 h, ça vaccine !!. Vers la fin, j’avais de grands enfants.

 De ces dix ans, je garde des souvenirs très forts, intenses, j’ai côtoyé la joie, le soulagement, la souffrance, la peine, la vie, la mort. Certains souvenirs resteront à jamais gravés dans ma mémoire. J’ai fait ce métier avec compassion. Même quand le temps manquait, même quand la pression était forte, j'ai essayé de ne pas  oublier  un « bonjour », un sourire, un petit mot, un geste rassurant.  J’ai d’ailleurs gardé cette habitude de toucher les gens, or, cela ne se fait pas dans le quotidien. J’ai beaucoup donné, mais je pense que je n’ai jamais autant reçu. Et j’ai vite compris que je n’aurais pas la capacité de faire ce métier avec la « compassion » qu’il nécessite dans ma conception  des choses. Je me suis jurée d’arrêter le jour où mon oreille ne serait plus attentive, où mon sourire serait fané. J'ai arrêté presque à temps.

 La douleur est la notion la plus subjective qui soit, pour la même intervention, le même appareillage post op, certains supporteront très bien, d’autres vont geindre pendant des heures. C’est ainsi, enfin cela l’était à l’époque, les traitements ont beaucoup évolué. Au fil du temps, on se carapace, on est de moins en moins tolérant vis-à-vis du geignard et l’on devient cette chose aigrie à blouse blanche que j’ai si souvent croisé. Ce métier est certes technique mais il est avant tout basé sur les rapports humains, pourquoi le faire si on est incapable d’entendre la souffrance de l’autre ?  Chaque soir, en quittant l’hôpital, je songeais à tel ou tel malade que j’avais quitté pas très en forme, ou qui serait opéré le lendemain. Moi qui n’aie aucune mémoire des noms, je n’ai jamais eu à me forcer pour connaitre le nom de tous mes malades sur le bout des doigts. Au bout de 10 années, le geignard devient de plus en plus difficile à écouter et les derniers temps, il m'impatientait, je le reconnais.

 J’ai eu l’occasion de croiser des destins pour certains, tragiques. J’ai vu des enfants grandir au rythme d’hospitalisations incessantes, perdre le peu de force qu’ils avaient. J’ai vu ces enfants à qui dés la naissance on avait promis une sombre destinée, grandir et arriver parfois à l’âge adulte usés, mourants, ayant atteint les limites de la science médicale,tous les organes vitaux détruits. J’ai été confrontée maintes fois à un espoir qui un jour ou l’autre devient vain. Ces enfants n’osaient parfois pas baisser les bras devant leurs parents qui s’accrochaient aux paroles illusoires d’un chirurgien qui s’acharne. Le soir, ils me confiaient leur désespoir, la pauvreté d’une vie de souffrance. J’ai oublié les noms mais les visages de chacun d’entre eux sont en moi, leurs mots, leur peine, leurs douleurs, leur souffrance ; Le petit sourire que parfois je décrochais  après un repas héroïque où 4 ou 5 bouchées avaient été avalées, constituant une victoire. Je crois que j’ai aimé ces enfants, ces jeunes adultes qui ne tenaient que par un fil. J’ai essayé de les rassurer, de ne pas nier ce qu’ils soupçonnaient bien mieux que leurs parents, en les écoutant. Et croyez moi, un regard calme, serein, l’espace d’un instant se lisant dans leurs yeux est le plus beau des cadeaux que j’ai reçu dans ma vie. J’ai vu leur famille détruite en apprenant leur mort puisqu’ils étaient devenus le seul lien reliant encore tous ses membres.

 J’ai vu une bande de hippies sur le retour faire une messe dans la salle d’attente. J’ai vu un malade italien cuisiner des pâtes sur la plaque chauffante du poste de soin et les servir aux autres la tête « enturlubanée » d’une alèze. J’ai traquée jusque sous le lit de son mari, une  vieille dame rom qui ne l’avait pas quitté depuis  50 ans, pas même une nuit. J’ai parlé italien avec des gens merveilleux qui faisaient semblant de tout comprendre. J’ai vécu des expériences humaines uniques, fortes, je pourrais vous en parler pendant des heures… … j’ai adoré ce métier même si je ne l’ai pas toujours pratiqué dans les meilleures conditions. Il m’a tant apporté …

 Mais, j’y ai aussi appris la mesquinerie des femmes entre elles, les cancanières et une hiérarchie parfois pesante et d’autant plus quand elle affichait son incompétence.

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Un Peu De Moi

  • : dépressive utopiste: isabelle
  • : une dépressive redécouvrant le monde semaine après semaine ...Une humaniste qui revit. écrire pour vivre, vivre pour écrire .
  • Contact

Profil

  • isabelle Cassou
  • une depressive idéaliste qui veut croire en l'humain, qui n'acceptera jamais la communication à travers la violence, la guerre. j'ai la chance de vivre dans un pays où je suis libre de dire , d'écrire, le faire est un droit mais surtout un devoir
  • une depressive idéaliste qui veut croire en l'humain, qui n'acceptera jamais la communication à travers la violence, la guerre. j'ai la chance de vivre dans un pays où je suis libre de dire , d'écrire, le faire est un droit mais surtout un devoir

 

 

 

 

bricabracBLEU13.png

 

Chatouillis méningés

 

 

 

 

 

  Je ne peux pas dire

qui je serai demain.

Chaque jour est neuf

et chaque jour je renais.
Paul Auster

Les Vintages

En Musique ...

je grandis