Il est de 22 heures et je rentre de ma partie de belote.
J’ai reçu plusieurs coups de fil aujourd’hui, mais je suis injoignable pour cause de causette ou de parties endiablées.
J’ai envie de vous raconter l’amour à la clinique pour gros …
Mon ami le beloteux (allias le raciste au grand cœur) a un compagnon de chambre d’environ 55 ans.
Ce Monsieur nommé José était, il y a quelques années, sous dialyse. Il a bénéficié d’une greffe et a été mis sous cortisone.
De là, il a beaucoup grossi et a développé un diabète insulinodépendant.
Et le voilà dans notre clinique pour gros à apprendre la diététique alors que rien ne le prédisposait à devoir le faire.
José est un homme de taille moyenne, brun, aux yeux très vifs. Il affiche, le plus souvent, un beau sourire.
Et, dès qu’on le rencontre, on sait qu’il n’est pas homme à se prendre la tête. José est ce qu’on appelle un homme facile à vivre, plutôt bon-vivant, blagueur, causant.
Avant-hier matin, pendant le cours de diététique, une petite dame espagnole s’est mise à piquer du nez. Je n’ai pas compris tout de suite, mais José simplement en la regardant s’est trouvé atteint d’un fou rire. Il riait si fort que je voyais couler des larmes le nom de ses joues.
Ce genre de rire est nécessairement contagieux. Le seul fait de regarder José ou le beloteuxce ravivait le rire naissant.
Bref, vous l’aurez compris, José est un homme simple et sympathique.
Hier, alors que le cours de diététique se terminait, une charmante quinquagénaire à la longue chevelure blonde éthérée a décidé de faire quelques travaux d’approche envers le José.
Moi qui ai travaillé des années, soit à l’hôpital, soit à Rungis, c’est-à-dire dans des lieux où la gaudriole et la drague sont monnaies courantes, j’étais toujours la dernière prévenue, au risque d’ailleurs de faire quelques gaffes, car je ne voyais ou percevais jamais rien.
Mais là, dans ce lieu bien moins réputé pour ces choses-là, je me suis amusée à regarder cette femme d’âge mûr draguer sans vergogne. Notre blonde semblait retrouver ses 20 ans et la voilà bondissante jouant aux chatouillis chatouillas, minaudant telle une jeune fille en fleurs.
La photo que j’ai choisie pour cet article ne l’a pas été par hasard. Elle représente en tout point cette femme criant son émoi.
La belle blonde et José mangent à la même table. Alors que les premiers jours, elle attachait systématiquement ses cheveux en grandes nattes, elle arrive maintenant toute chevelure dehors exposant sa longue crinière blonde.
Elle affiche un sourire ravageur qui n’échappe pas à pas grand monde.
Le beloteux a bien vu son manège.
Et José, s’il n’en laisse rien paraître, n’en est pas moins aveugle.
Ce midi, puis ce soir, à la sortie de table, alors que José rentrait tranquillement vers sa chambre. La belle blonde lui emboîta le pas ne laissant aucun doute sur ses d’éventuelles intentions.
Mais voilà, l’amour est bien fantasque. Alors que la belle se languit déjà, José ne le voit pas du même œil.
La belle est un brin collante, un peu trop fantasque à son goût.
L’amour frappera-t-il à la clinique pour gros ? Rien n’est moins sûr…
Mais une chose est sûre, la petite société d’un groupe de gros dans une clinique perdue dans une banlieue lointaine fonctionne comme tout autre société.
Il est toujours intéressant, en l’instance agréable, de voir les affinités se créer, se faire, se défaire.
Alors que quelques-uns partent rejoindre leur chambre de bonne heure, une table est occupée par des joueurs de rami, l ‘autre par des joueurs de belote, une autre par quelques bavards, et enfin, une autre par un petit groupe où se mélangent diverses générations et où l‘on joue tantôt au trivial poursuit, tantôt au Monopoly, tantôt au Scrabble…
Une société se crée basée sur le hasard, quelques affinités, elle est nécessairement éphémère, mais n’en est pas moins globalement sincère.