Ma pauvre chérie, je m’égare. Tu sais, à mon âge, les souvenirs n’ont plus guère d’ordre et parfois ils reviennent pèle mêle sans crier gare.
Le temps passa sans que je revisse mon bel inconnu, mon séjour britannique me paraissait bien long.
Oh, je ne m’ennuyais pas au couvent. Les sœurs n’ayant pas toujours le temps de jouer avec les enfants. Je remplissais ce rôle avec le plus grand plaisir.
Bien que protestante, je me familiarisais très vite aux mœurs catholiques.
Le couvent dépendait d’un ordre français, les sœurs ayant pour la plus part, voyagé un peu partout dans le monde.
Mère Thérèse était une petite femme fluette, qui devait avoisiner les soixante cinq ans. Elle menait sa communauté avec un mélange de fermeté et de bonne humeur.
Les sœurs étaient toutes proches de leurs petits pensionnaires, une quarantaine environ. Je garderais un souvenir ému de mon séjour dans ce couvent car il y régnait paix et joie.
Bien sur, ce n’était pas toujours idyllique, les enfants, tous abandonnés, avaient parfois beaucoup de mal à s’adapter à une discipline souvent sévère.
Mais sœur Marie, une des plus âgées, n’avait pas son pareil pour faire sourire les enfants. Elle devait avoir un don, aucun n’y résistait.
Les conditions de vie n’étaient pas celles de maintenant, nous nous lavions à l’eau froide. L’emploi du temps était sans flexibilité aucune, immuable rituel des jours qui passaient.
Le dimanche, mère Thérèse nous laissait un peu plus de liberté. Nous pouvions jouer. J’adorais m’occuper des petits, un rappel de ma vie de famille, j’imagine.
J’étais proche de Matthew, Eileen, Avery et Betsy, mais partageait mon temps également avec tous les autres. Ma mémoire me fait défaut aujourd’hui, leurs noms m’échappent. Tout cela est si loin.
Tu sais, ma fille, je crois, que ce séjour fut pour moi une belle leçon de vie.
Depuis mon arrivée à Londres, mon emploi du temps était minutieusement surveillé par la mère.
Je devais me plier aux règles et aux horaires.
Le matin, nous nous levions à six heures, petit déjeuner accompagnés de prière vers six heures trente, douche à sept heures et quart.
Les enfants recevaient un enseignement sur place, sœur Marie Nathanaëlle, une femme solide, ayant passé plusieurs années en Afrique tenait la classe d’une main de fer. Les sœurs se faisaient un point d’honneur d’éduquer « leurs » enfants, selon leur expression, avec le plus grand soin.
Quant à moi, je quittais Beddington à huit heures moins le quart, me rendais à la gare par un petit sentier de campagne pour prendre le train de huit heures douze.
La suite de ma journée était rythmée par les cours et mon retour en train. Les sœurs me donnaient un panier afin que je déjeune dans l’enceinte de l’école.
Immanquablement, je prenais le train de dix sept heures trente quatre et rentrais au couvent.
La soirée se déroulait simplement, devoirs, repas à 19h, les habitudes restaient françaises, prières, un instant de détente, 20h30 coucher.
Je dormais dans un grand dortoir, seule, au milieu de dizaines de lits vides. Il y avait un grand poêle dans la pièce, mais il n’était jamais allumé.
Les sœurs étaient vieillissantes et elles ne pouvaient plus accueillir un grand nombre d’enfant.
Sœur Adelaïde était l’intendante de ce petit monde, elle faisait souvent des miracles avec le petit budget de la communauté.
Le temps passa, deux semaines environ …