À midi, nous avons une invitée à notre table.
Le repas se passe quasiment en silence. A sa fin, comme il est souvent de coutume, les langues finissent par se délier.
Cette jeune femme nous raconte un parcours assez fou.
À 18 ans, alors qu’elle n’a pas de famille pouvant la conseiller, des médecins lui proposent un traitement expérimental contre son obésité : ce médicament s’appelle isoméride. Elle signe un protocole dégageant les médecins de toute responsabilité quant aux effets secondaires pouvant survenir. Le test se fait bien sûr à l’aveugle et elle n’a aucune connaissance du nom de la molécule.
Au début, le suivi est régulier mais le temps faisant, les effets secondaires s’installant avec force et le suivi se fait plus rare.
Elle se retrouve tellement détraquée de toutes parts qu’on finit par multiplier les traitements y compris antidépresseurs.
Ne sachant plus quoi faire, elle finit par stopper absolument tout traitement. Elle se sent alors bien mieux.
Ses copines de travail lui racontent qu’il existe maintenant un médicament « miracle » et la voilà qui le réclame à son médecin.
Alors qu’elle prend le premier comprimé, sans savoir bien sûr qu’il s’agit du même médicament, ces symptômes reviennent immédiatement.
Martine est alors une jeune fille assez timide, et si elle prend conscience qu’elle a servi de cobaye pour un médicament aux effets secondaires plus que dangereux, elle sait également qu’elle n’a aucun recours juridique.
Par la suite, Martine se trouve atteinte de douleurs quasi chroniques, tous les médecins qu’elle verra alors mettront systématiquement les douleurs sur le compte de l’obésité, Martine oscille entre 150 et 170 kilos.
Il lui faudra patience, hasard, obstination, chance pour trouver enfin un rhumatologue qui posera le diagnostic et bien sûr le traitement adapté à une maladie totalement indépendante du poids.
En clair, alors que vous êtes obèse morbide, vous vous retrouverez dans la vindicte médicale comme étant victime de cette obésité et atteint de tous les détraquages que cette maladie peut induire. Mon propos n’est pas de prétendre que l’obésité est sans risque, mais, et c’est ainsi que Martine l’a vécue, alors que vous êtes obèse, le corps médical se fixe sur cet excédent de poids au détriment de tout le reste.
La vie de Martine change du jour au lendemain alors que ses douleurs disparaissent en grande partie.
Martine nous raconte quelques épisodes totalement délirants.
Un médecin lui dit un jour qu’elle ment lorsqu’elle prétend ne pas manger en excès et pour preuve, il lui tient ce discours : « Mme, il n’y avait aucun obèse dans les camps de concentration. »
Un autre la reçoit pour un problème au niveau de ses articulations. Affable, il lui demande s’il peut photographier ses jambes. Elle accepte volontiers. Il en semble ravi.
Martine lui demande alors ce qu’il peut faire pour elle. Il lui répond de but en blanc : « Madame, la médecine ne peut pas faire de miracles, il n’est pas nécessaire que je vous revois, je ne peux rien faire pour vous. »
Ce genre d’expériences Martine va les vivre tout au long de 30 ans d’obésité.
Et au Fil des ans alors qu’elle se définit comme une femme gentille, se développe chez Martine, une grande méfiance vis-à-vis du corps médical.
Martine croise un jour Anne Zamberlan et devient membre de sa troupe de danseuses. Alors qu’elle danse très régulièrement avec cette troupe elle pèse 150 kilos.
Un jour, Anne et elle se rendent à un congrès européen sur l’obésité. Elles y participent en tant que partie prenante des thérapeutiques proposées aux obèses morbides ces dernières années. Alors qu’un des anciens médecins de Martine tente de mettre sa parole en doute alors qu’elle évoque l’échec de toutes ces thérapeutiques (dont des régimes hypocaloriques stricts), deux autres se lèvent et s’interposent. Ils reconnaissent publiquement l’échec total de tous les traitements, de tous les régimes mis en place alors, et s’excusent que la médecine n’ai pu trouver une solution efficace et acceptable pour ces personnes en surpoids.
Une grande amitié la lie à Anne, elle se ressent dans ses propos et dans la manière dont son visage s’éveille en parlant de leurs souvenirs communs.
Martine a aujourd’hui 47 ans, tout au long de son parcours dans l’obésité, elle a évolué, son caractère a changé. Elle a compris que prendre pour argent comptant ce que la médecine tente de nous vendre n’est pas nécessairement la meilleure solution.
Martine ne nous a pas dit son poids et qu’importe, mais depuis quelques mois, alors qu’elle a appris plusieurs décès, elle reprend un kilo par mois de manière régulière.
Elle a gravement souffert du fait d’avoir été un cobaye.
Une partie du corps médical lui recommande, maintenant, plus que vivement une intervention chirurgicale de type anneau gastrique ou by-pass. Martine en veut énormément à ces médecins qui un jour ont joué avec sa santé alors qu’elle n’était qu’une jeune fille de 18 ans seule et sans défenses.
L’idée, aujourd’hui, de subir une intervention très lourde, dont les conséquences restent encore, faute de recul, floues et incertaines, lui est insupportable. Ce refus la confronte encore une fois au corps médical qui l’estime stupide et sans fondement.
Nous étions quatre à table, l’histoire de Martine nous a émues et beaucoup interpellées.
Martine a aujourd’hui assez de recul pour analyser toute son histoire.
Elle travaille, elle vit seule et sans aide, assure son ménage et ses tâches quotidiennes seules.
Elle est fière de cette indépendance car elle est très rare chez des personnes de son poids, nous dit-elle.
Elle s’estime battante, fait un gros travail sur elle-même, cherche à comprendre, trouve parfois des réponses.
Elle a tout à fait conscience que ces réponses, si elle lui ouvre des portes, ne résoudront par son problème.
La mort est là, elle rôde, et Martine le sait et se demande si elle n’est pas tout simplement en train de l’attendre.
J’ai été vraiment très contente de croiser Martine.
C’est une femme bouleversante, fragile, qui ne sait plus trop bien où va son chemin, qui doute, mais qui pourtant, continue à chercher.
Son histoire est, hélas, très représentative de ce que peut être la vie d’un obèse depuis 30 ou 40 ans.
Martine nous a mis en face d’une réalité dure.
Elle dit elle-même, être plus souvent en confrontation avec des personnes en surpoids car l’image miroir qu’elle offre à l’autre fait peur.
Le médecin, lui, est dans bien des cas atteint d’une forte culpabilité de n’avoir pu ou su résoudre son problème, il est bien plus simple alors de la transmettre à son patient.
Voilà, j’avais envie de vous raconter aujourd’hui une vie hors du commun. Il a fallu à Martine un certain nombre d’années pour comprendre que bien que la société ne veuille que des personnes normées, elle est et doit accepter être une personne hors du commun.
J’ai rencontré une femme riche, meurtrie et pourtant, dans ses yeux, une belle flamme de vie scintillait.