Je la hais, elle est encombrante, insidieuse, vénéneuse. Elle monte sournoisement, elle semble soudain devenir invincible, incontournable, une fatalité inévitable. Elle fait naître le doute, l’insécurité, les craintes, les peurs.
Parfois, d’un revers de main, on la chasse, on reprend le contrôle avec la fierté de quelqu’un qui enfin ne se laisse plus envahir. C’est alors une victoire de plus, un pas vers le rétablissement, vers la sérénité, la quiétude.
Parfois, malheureusement, elle est la plus forte, s’en suivent alors, des douleurs physiques autant que morales. Le moindre doute s’amplifie, la moindre peur devient terreur, tout semble inexorable, hors de contrôle, juste parce que cette saloperie d’angoisse est tenace, forte, vicieuse.
Oui, je la hais, alors. Elle obscurcit mon ciel, elle vole mes joies, elle accentue mes peines. L’horizon devient noir, la visibilité de plus en plus réduite. On se retrouve coincé dans un univers de pensées sombres, sans lumière, sans porte de sortie.
On panique, on étouffe.
Certains restent enfermés et trouvent en eux la force de vaincre seul ses démons.
J’ai combattu seule toute ma vie, j’ai donné aux autres l’image d’un roc indestructible, à tel point que j’ai peut être fini par y croire. Quand la déprime est entrée dans ma vie, j’ai découvert les failles, les faiblesses, une grande vulnérabilité. Il n’est nullement question de la revendiquer, mais je ne ferai jamais plus l’erreur de la cacher, je ne remettrai jamais plus un masque sur mes états d’âme.
Je suis ce que je suis, un mélange affreusement paradoxal de force et de faiblesse. Je ne me mettrai plus en danger en voulant toujours tout porter seule, parfois c’est bien trop lourd.
Certains ont l’angoisse de la page blanche, moi j’ai celle de la noire. Je ne réfute aucune interrogation, j’écoute parfois à tort tout ce que je ressens.
Seulement, voilà, quand l’angoisse prend le dessus, la maîtrise est difficile, le recul s’estompe. Grâce à Dieu, le temps fait son office, la raison reprend du service, les doutes deviennent plus flous, les peurs se calment, les pleurs cessent, le calme revient car après tout : « après la pluie, le beau temps ».
Les orages me surprennent encore et toujours, je n’en ai pas encore la maîtrise, pas toujours, mais je me bats bec et ongles pour reprendre toujours un peu plus de terrain. Le soleil revient timidement chaque fois un peu plus vite. Je dois réapprendre la confiance en les autres certes, mais aussi et surtout en moi.
J’ai attendu 43 ans pour connaître ce sentiment qu’est l’angoisse, cette sensation qu’il est si difficile d’appréhender si on ne l'a pas vécue personnellement.
Je la crains, elle me bouscule encore avec une intensité qui me laisse un sentiment de défaite, de rechute. Pourtant, elle est aussi une sonnette d’alarme, la résultante de quelque chose. De nombreux fantômes hantent ma vie, il ne tient qu’à moi d'aller les débusquer, d’apprendre à vivre avec. Seulement voilà, il n’y a pas de recette toute faite, de solution « packagée », il y a des prises de conscience qui se font chaque jour, des avancées, des hésitations. Mais tout est possible tant qu’on se pose toujours des questions, tant qu’on cherche les réponses. Une de mes plus grandes angoisses n'est pas la solitude, mais le vide, l'absence.