Il y a trois ans, pour la première fois, j’allais voir le psychiatre à Courbevoie.
Il était là dès le début.
Il ne venait que l’été, placé toujours au même endroit, à la sortie la défense, sur le périph. Ouest, juste à l’entrée du tunnel du coté gauche, sur le trottoir.
Au fil des mois, je le reconnus d’une fois sur l’autre.
Je l’ai vu perdre et prendre pied sur le bitume, trois années durant.
Ce matin, il était assis sur une caisse en bois, une bouteille de coca entamée pour seule compagnie, une boite de thon vide placée entre les deux mains.
Il était emmitouflé dans un anorak bleu marine, recroquevillé, transit en ce début d’hiver.
Son regard était dirigé vers le sol.
Lorsque j’ai ouvert ma vitre et tendu le bras, j’ai croisé des yeux tristes, fatigués, j’ai lu sur son visage un sourire las, le sourire d’un homme qui respire depuis trois ans, les même gaz d’échappement.
Il a vieilli cet homme, prématurément vieilli.
Son visage est miné par la lassitude et le froid, ses mains usées.
Les autres hivers, il disparaissait, je l’imaginais à l’abri quelques mois, en un lieu plus clément. Mais, chaque printemps, je le retrouvais là, alors que j’aurais tant aimé le savoir sorti d’affaire.
Cette année, il est encore et toujours là, et j’ai peur qu’il ne passe cet hiver blotti dans son mince anorak bleu marine, là, le long du périph.
Il a environ 60 ans, son accent est peut être de l’est. Chaque mois, je le vois plus usé, exténué, perdu,
Son corps plié sur ce siège de fortune
A quelques mètres de là, des gens important viennent parler, parler, deviser de choses et d’autres toutes de la plus haute importance.
A quelques mètres de là, s’étale la société de consommation version VIP, avec toute l’indécence et le luxe d’un centre de congrès parisien.
Et lui, immanquablement, chaque jour, il bouffe du gaz d’échappement sur le bitume.
Est-ce un destin ?
Est-ce inéluctable ?
Que faire ?
Si vous passez par là, pensez à lui, faites cliqueter sa boite de thon vide, il vous offrira sa seule richesse, son sourire, le sourire d’un homme dans la misère au bord du périph.